Comité de lecture du 29 octobre
Deux textes ont été retenus par deux lecteurs/lectrices sur trois et sont donc référencés sur notre site.
Mademoiselle Pan
Texte de Ariane Louis
Comédienne de formation, elle a joué dans divers projets aussi bien théâtraux que cinématographiques. Elle travaille actuellement en tant que comédienne et autrice sur sa deuxième pièce « Le Caveau est sourd. » ou « Petite » sélectionnée par le bureau des lecteurs de la Comédie Française (2019) et dont la mise en scène a été primée par un festival parisien (2019). De nouvelles dates sont prévues pour 2021. Côté cinéma elle a récemment joué dans le long-métrage indépendant « D’Etoile en étoile » d’Antonio Amaral pour lequel elle a reçu le prix « Best Actor » toutes catégories confondues du Liverpool Underground Film Festival (2020).
Également autrice de théâtre, elle a écrit Mademoiselle Pan, Le Caveau est sourd, le Palais des Glaces, La Chanson des Malaimés, La Dame à la Lampe.
Résumé
Mademoiselle Pan refuse de grandir, ne veut pas se marier, ne veut pas avoir d’enfant. Sa mère Ogre devant ce refus la chasse de la maison. Pan rencontre Le Jeune Homme à la moto (en panne) qui en échange de l’eau de ses larmes accepte de l’aider. Et à partir de cet instant, tout s’enchaîne dans un rythme rapide où nous rencontrons un bateleur qui vend de l’oxygène (entre autres choses), où les jeunes gens croisent la mort et la guerre, deux sœurs jumelles, et le cortège de malheurs qu’elles traînent dans leur sillage.
Extraits des fiches de lecture
« J’ai pris un grand plaisir à lire cette pièce qui est faite pour la scène. Pendant toute ma lecture, j’ai vu les personnages évoluer sur scène tant l’écriture est scénique, non seulement au niveau de l’action mais également dans la représentation du jeu des acteurs, voire dans la représentation physique des personnages. C’est vrai dans l’ensemble mais particulièrement pour les personnages des deux sœurs (ex. la Mort aux doigts de rose dont je voyais les roses se flétrir ou reverdir en fonction de la situation), de Mademoiselle Pan qui perd son innocence, son enfance et sa liberté en même temps qu’elle se défigure, du bateleur l’Asticot que je ne pouvais qu’imaginer en succession d’anneaux tel un lombric.
La pièce est extrêmement rythmée, avec certaines scènes à jouer « d’un train d’enfer » comme celle de la demande d’emploi de Mademoiselle Pan qui m’a beaucoup fait rire et grincer des dents au final. Car c’est une caractéristique de cette pièce de théâtre : on rit, on s’amuse, on s’émeut mais on n’en ressort pas indemne. Il y a une vraie réflexion sur la liberté, la guerre et la mort, le monde qui nous entoure. Sous un vernis de comédie, c’est la tragédie du monde qui nous est contée. »
Yves
« Ce texte m’a tout d’abord rebutée à la lecture des noms des personnages qui me semblaient bien alambiqués, puis je me suis laissé happer par Mademoiselle Pan, dans ses désirs, sa conception de la vie, sa liberté. Je l’ai imaginée à travers les routes, se heurtant sans cesse à l’empêchement, à la violence.
Pour nous raconter tout cela, l’auteur a inscrit ce chemin de vie sur fond de guerre comme un conte dont l’héroïne aurait une quête et serait sans cesse empêchée. Très peu d’adjuvants pour elle, beaucoup d’opposants.
Je me suis laissé conduire avec un vrai désir de dénouement qui ne m’a pas déçue. »
Michèle
Au début de ma lecture je pensais que je lisais un texte jeune public avec une héroïne et le fameux parcours du héros, les personnages archétypaux (la mère ogre, la mort aux doigts de rose) m’y faisaient penser complètement et au fur et à mesure qu’on avance dans le récit on s’aperçoit que non, ceci n’est pas un texte jeune public. On sent que l’auteur a voulu traiter de la fin de l’enfance, son héroïne étant clairement une référence à Peter Pan, mais voilà, là, débute pour moi le problème, le fond est malaisant et il en ressort une sorte de morale nauséabonde qui me dérange drôlement, surtout à la fin quand l’héroïne est accomplie et devient enfin une femme car elle a été maltraitée et violée et que donc elle n’est plus une petite fille innocente. Cette fin me dérange énormément car l’héroïne n’a rien accompli au contraire des
Antigone, Iphigénie ou Phèdre de la tragédie grecque. »
Pierrick
Extrait du texte
MOUVEMENT I
Première vague La mère Ogre – Mademoiselle Pan.
Le matin. La chambre de Mademoiselle Pan.
La mère Ogre. Bien dormi ?
Mademoiselle Pan. Je dors encore.
La mère Ogre. Il n’est plus l’heure.
Mademoiselle Pan. Je suis fatiguée.
La mère Ogre. Il est temps de revenir à la réalité petit diamant mandarin !
Mademoiselle Pan. Laisse-moi fermer les yeux encore un peu…
La mère Ogre. Pendant que tu dors le temps continue de courir et après tu ne pourras pas le rattraper, tu seras trop en retard. Réveille-toi ! (Une lumière éblouissante envahit par vagues la chambre) Regarde-toi ma pauvre fille. Tes cheveux sont mal coiffés, ta chemise de nuit est toute froissée, tes yeux sont tout encrottés. Quel homme voudra bien de toi en te voyant comme ça ? Ce n’est plus la nuit ma mésange, le jour se lève. Fais-toi belle. Fais-toi grande. Sors d’ici et trouve-toi un homme.
Mademoiselle Pan. Je n’ai pas besoin d’un homme quand je suis dans mon lit.
La mère Ogre. Ne dis pas n’importe quoi. Un lit c’est fait pour faire l’amour pour me donner des petits-enfants, ce n’est pas fait pour autre chose. Lève-toi. Il est temps, il est l’heure. Chaque fois que le soleil commence son cycle tu es un peu plus vieille et pourtant tu refuses de grandir. Tu restes là, enterrée sous tes draps comme une enfant engloutie dans le ventre de sa mère. Tu n’es plus une enfant. Tu es une femme, que tu le veuilles ou non. Sors de là ! Il te faut quitter la maison. Voir ce qui se passe dehors. On n’échappe pas à la vie, Pan.
Mademoiselle Pan. Je suis bien comme ça dans ma solitude.
La mère Ogre. Tais-toi ! Je ne veux pas que tu rentres seule à la maison ce soir. Sors et trouve-toi un homme. Tu m’entends ? Trouve-toi un homme qui te prendra dans ses bras la nuit. Trouve-toi un homme qui collera son corps au tien. Qui dévorera ta bouche avec ses lèvres. Qui t’écrasera sous son poids. Qui couvrira tes cris de sa voix rauque.
Mademoiselle Pan. (Sa voix rêve encore) Un homme radiateur qui me tiendra chaud la nuit…
La mère Ogre. N’importe quel homme. Un homme radiateur, un homme billet, un homme stylo, je m’en moque, mais il faut que tu me donnes des petits enfants. J’ai faim. J’ai tellement faim. Tu es grande maintenant. Tu as l’âge d’avoir un mari. Tu as l’âge d’avoir un travail. Tu as l’âge d’avoir une ride au milieu du front pour avoir trop froncé les sourcils. Et tu n’as rien de tout ça ! Regarde-toi. Assise là, les yeux rivés sur un horizon que tu es seule à voir comme si tu y lisais quelque roman. Qu’espères-tu y trouver ? Lève-toi. Habille-toi. Cours dehors. Je ne supporte plus de te savoir dans la maison. La nuit souvent je me réveille et j’entends ta respiration, profonde et calme, et mon cœur tremble. Si j’essaye de fermer les yeux pour me rendormir, je vois ton visage impassible et tendre, et cela me donne envie de vomir. Je ne supporte plus de te savoir sous le même toit que moi. J’ai peur la nuit. J’ai peur de toi. J’ai peur que tu ne te réveilles pas. Jamais. J’ai peur que tu continues de dormir, même après que le soleil s’est levé et que je doive te garder à la maison pour l’éternité. Tu es belle, tu es si belle. En te voyant n’importe quel homme aura envie de te manger. Mets-toi un peu de rouge aux lèvres, coiffe tes cheveux. Tu es si belle que tous les hommes se retourneraient sur ton passage si tu voulais bien sortir d’ici !
Mademoiselle Pan. Il fait chaud sous ma couette, je n’ai pas envie de sortir. Je n’ai pas besoin d’un homme, je suis bien seule avec toi.
La mère Ogre. Tais-toi ! Quand tu dis ce genre de bêtises j’ai encore plus faim et ça me donne envie de te frapper. Il est temps. La vie suit son cours, elle court si vite. Tu ne peux pas rester là à attendre. Habille-toi ou je te frappe Pan ! Fais-toi belle. Sors. Trouve un homme ou l’on croira que tu ne manges pas de ce pain là et que tu n’es pas une vraie femme. La vie ne vacille pas sous la couette. La vie vacille dehors. La vie n’est pas que chaude. Elle peut être froide. Elle peut être dure comme de la pierre. Vivre ce n’est pas attendre et rêvasser pour tuer le temps. C’est le temps qui vous tue, jamais l’inverse. La vie n’attend pas. Dépêche-toi ou je te frappe ! Je ne veux plus te voir ici. Tu m’entends Pan ? Je ne veux plus te voir sous ce toit. Je ne peux plus le supporter. (La lumière tremble présageant un drame.) Je te dis mes maux Pan. Je te mots dits. Je te maudis et t’interdis de revenir à la maison sans un mari bien à toi. Sans un visage abîmé par le souci. Sans avoir peiné pour vivre. Je t’interdis de revenir à la maison tant que tu n’auras pas vécu. Tu ne retrouveras pas ton chemin. Les ronces pousseront pour te bloquer la route. Le soleil changera son cycle pour te perdre. Les loups se tairont et la maison restera tapie silencieuse sous la mousse des saisons. Tu ne connaîtras plus le repos Pan. Tu ne dormiras plus tant que tu ne seras pas devenue une femme. (Toute la maison tremble à présent) Sors maintenant. Sors avant que je ne te frappe. Sors avant que je ne te mange ! J’ai faim, j’ai si faim…. Cours Pan. Cours pour rattraper le temps perdu, cours jusqu’à en perdre le souffle, cours car ta vie en dépend.
Pan s’enfuit et court dans le monde extérieur.
Passif ?
Texte de Angel Liegent
Angel est metteur en scène et dramaturge. Après une formation au sein des classes de la comédie de Reims sous la direction d’Emmanuel Demarcy Mota, Francois Regnault, Arnaud Meunier etc… il poursuit son travail aux Pays-Bas.De 2006 à 2012, il écrit et met en scène une dizaine de spectacles et d’événements pour la compagnie « Mouettes » basée à Amsterdam. Il travaille également auprès des artistes néerlandais : Erwin Olaf, Herman van Veen ; Wies Merck et Rita Zipora.
De retour en France, il collabore aux dramaturgies de pièces de théâtre, de films ou de films institutionnels, notamment avec le Fresnoy de Roubaix, ou auprès des réalisateurs des « Chevreaux Suprématistes » et le Musée de la Villette… Il crée quelques projets personnels comme le concert dramatique « Les Addictions » du groupe -Bi-, l’émission de radio sur la répétition de théâtre « Qu’est ce donc que le monde », ou le spectacle « Givre » sur un texte de Claire Massoubre, créé à Marseille avec le réalisateur Nicolas Gambini et impliquant de nouvelles technologies.
Il rejoint l’équipe du collectif « Plastics Parasites » à l’occasion de la mise en scène et de l’adaptation des « Bonnes » de Jean Genet. Il poursuit actuellement sa collaboration en tant que dramaturge auprès de ce collectif
Résumé
Matthieu se sent fille mais il est né garçon, à la découverte de sa sexualité il multiplie les aventures et les rapports sexuels, il fait la rencontre de Paul « la seule personne qui dit-il « va l’aimer pour ce qu’il est réellement », mais sait-il lui-même qui il est vraiment ?
Et puis un jour il tue son amant avec un couteau.
Résumé
Matthieu se sent fille mais il est né garçon, à la découverte de sa sexualité il multiplie les aventures et les rapports sexuels, il fait la rencontre de Paul « la seule personne qui dit-il « va l’aimer pour ce qu’il est réellement », mais sait-il lui-même qui il est vraiment ?
Et puis un jour il tue son amant avec un couteau.
Extraits des fiches de lecture
« Etrange lecture découpée entre Mathieu et Narration. Entre présent et récit du passé de Mathieu jusqu’à ce, qu’à la fin, les deux espace temps se rejoignent.
J’ai lu ce texte plusieurs fois avant de prendre une décision… L’alternance Narration, Mathieu m’a, dans un premier temps, gênée pour la compréhension, pour me sentir pénétrée par les deux univers, les deux espaces de sentiments ou de sexe et de violence. J’ai donc relu en séparant : j’ai lu toute la partie Narration puis toute la partie Mathieu et j’ai mieux ressenti les différents univers, l’évolution de Mathieu. Je pense que c’est un texte qui a vraiment besoin du plateau pour exister pleinement. J’ai été très sensible à ces deux Mathieu : l’un dans l’univers du sado/maso et l’autre dans l’univers sentimental, perdu, amoureux, sensible, seul face au trouble qui l’habite ….
Bien sûr, certains trouveront peut être que des passages sont trop crus ; cela m’a aussi mise mal à l’aise mais c’est ainsi que des gens vivent, ressentent. L’auteur ne sombre pas dans la pornographie, il/elle ne fait que raconter, mettre en fiction des vies, une vie parmi tant d’autres et se serait se voiler la face de croire que personne ne vit ainsi. J’ai beaucoup pensé à Jean Genêt en lisant ce texte et à ses multiples incarcérations à cause de ses tendances sexuelles. Ecrire un texte de cette trempe aujourd’hui est une bonne chose, à l’heure où une pruderie dévoyée et stupide gagne du terrain.
Claudie
Première citation « je vois toujours à travers le ciel, la nuit noire de l’univers. Car il faut le savoir, notre ciel bleu est un leurre. » Robert Alexis
Ne connaissant pas cet auteur je fais des recherches et voici ce que je trouve : « Explorateur acharné de la complexité de l’identité, ses personnages sont soumis aux forces brutes du désir, seul moyen de libération du « Moi ».
Le corps est le champ de l’expérience, traversant perversions et transgressions, l’identité se révèle multiple. »
J’ai envie de dire que tout est dit dans ces quelques mots, j’ai lu ce texte comme un coup de couteau dans le cœur, l’histoire de Matthieu est poignante et la construction oscillant entre narration et jeu est particulièrement intéressante sur le plan de la mise en scène, à ajouter eu fait que l’action se situe dans deux espaces temps différent.
J’ai suivi le périple de ce jeune Matthieu de lieu en lieu dans ce long et douloureux chemin de son identité, se perdre pour mieux se trouver, se tromper, y laisser des plumes ou plutôt ici des bouts de soi, s’abimer le corps et subir, être « passif » celui qui est dessous, celui qui tient le rôle de la femme, laisser les autres nous dire qui l’on est.
Et puis un jour « s’affirmer », être soi et peut-être vivre, un peu…
Ce texte aborde des thématiques tellement importantes, m’a fait me questionner encore et encore sur cette question du genre et de l’identité, c’est aussi un sujet sensible et dont il est important de parler.
Matthieu et son double Narration, deux morceaux d’un même personnage morcelé,… sa parole est d’une écriture sans concession, brute et certains mots sont des coups de poignard dans le cœur, je ne m’étonne pas qu’il ait tué avec un couteau… »
Nicoletta
« Pour moi ce texte a été ardu à lire. C’est peut-être pour cela que beaucoup d’explications me sont nécessaires avant d’arriver à la rubrique “Ce que j’en pense”.
Si je devais résumer ce texte en un mot, ce serait CHAOS. Chaos dans la tête de Matthieu, Chaos dans le récit, Chaos dans la construction du récit.
Je me suis perdue plusieurs fois dans le texte et je regrette que l’auteur ait choisi de donner des explications et des codes de lecture à la toute dernière page. Cependant je ne suis pas sûre que ces explications et ces codes donnés en début de texte m’auraient permis de mieux cerner le personnage de Matthieu et les intentions de l’auteur.
Je ne suis pas arrivée à rentrer dans le texte en profondeur et très difficilement à l’imaginer sur un plateau. J’en suis désolée et un peu frustrée parce que j’ai l’impression que je n’ai pas eu accès aux intentions de l’auteur. »
Marie-Claude
Extrait du texte
Premier tableau : La boîte de nuit
Narration :
Avant de n’être rien, j’étais une fille… Ce qui me semblait déjà,
Vraiment pas grand chose.
Matthieu :
Prés du bar. Matthieu jovial et saoul
J’aime beaucoup tes chaussures ! Où est-ce que tu m’emmènes ?
Pourquoi ?
D’accord je viens avec toi…
Ils sortent
Narration :
Une fille certes, mais pas n’importe quelle fille, Une petite fille plus fille qu’une fille,
Une ultra fille,
La fille.
La seule petite fille parmi toutes les petites filles de mon entourage à savoir qu’elle était une fille, A savoir ce que voulait dire,
Etre fille.
Matthieu :
Tu avais besoin de prendre un peu l’air ?
Narration :
Plus gracieuse que Delphine…
Mathieu
Moi ça va…
Narration :
Plus studieuse que Rozen…
Matthieu :
Peut-être…
Narration :
Plus gentille que Marie…
Matthieu :
Je suis bien.
Narration :
Moins noire et moins sauvage que Reine…
Matthieu :
Tu as raison c’est agréable
Narration :
Et tellement plus jolie que Bérénice.
Matthieu respire profondément, sur-jouant un peu qu’il apprécie l’instant.